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Février 2023

Les producteurs de betteraves au pied du mur

Les Etats membres de l’UE ne peuvent pas déroger aux interdictions expresses de mise sur le marché et d’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes a estimé la Cour de justice de l’Union européenne. Coup dur pour la filière betterave-sucre française.

Depuis 2018, la Commission européenne a imposé des restrictions très strictes concernant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes : le thiaméthoxame et la clothianidine. Deux règlements d’exécution ont ainsi interdit la mise sur le marché et l’utilisation, des semences traitées à l’aide de ces néonicotinoïdes, sauf aux fins des cultures dans des serres permanentes, tout au long du cycle de vie de la culture ainsi obtenue.

A l’automne 2018, en invoquant le régime dérogatoire et temporaire inscrit à l’article 53, paragraphe 1, du règlement n°1107/2009  du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009 (1), l’Etat belge a délivré six autorisations d’utilisation de produits phytopharmaceutiques à base de clothianidine et de thiaméthoxame pour le traitement des semences de certaines cultures, y compris les betteraves sucrières, ainsi que pour la mise sur le marché de ces semences et leur ensemencement en plein air.

Vent debout contre ces autorisations, deux associations de lutte contre les pesticides et de promotion de la biodiversité ainsi qu’un apiculteur ont formé devant le Conseil d’Etat belge un recours. Ces autorisations étaient, selon les requérants, accordées de manière abusive, plusieurs années d’affilée et sans justifications suffisantes. Ces derniers font valoir que ces néonicotinoïdes sont utilisés de manière croissante à travers la technique de l’enrobage des semences, en ce sens que, au lieu d’être pulvérisés sur la culture, ils sont préventivement appliqués sur les semences avant l’ensemencement, sans égard à la présence avérée ou non des insectes que ces produits visent à éliminer.

Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel , le Conseil d’Etat belge a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin de déterminer s’il est possible, sur le fondement de l’article 53 précité de déroger à l’interdiction de mise sur le marché et d’utilisation en extérieur de semences traitées à l’aide de ces produits, expressément prévue par les règlements d’exécution, en autorisant :  la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives en vue du traitement de semences et  la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide desdits produits.

Dans un arrêt du 19 janvier 2023, la Cour relève que le législateur de l’Union européenne a bien envisagé, dans le cadre de la dérogation prévue à l’article 53 du règlement n° 1107/2009, la possibilité pour les Etats membres, dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsqu’un danger ou une menace compromettant la production végétale ou les écosystèmes ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables, puissent autoriser des produits phytopharmaceutiques ne satisfaisant pas aux conditions prévues par le règlement en question. Toutefois, s’agissant des semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des substances interdites expressément, elle considère que, par cette disposition, le législateur n’a pas entendu permettre aux Etats membres de déroger à une telle interdiction expresse.

La France prend acte de la décision de la CJUE

Cet arrêt de la CJUE vient percuter le programme de travail établi par la France. Il intervient alors que le conseil de surveillance devait se réunir le 20 janvier dernier afin d’examiner, au vue des données scientifiques, la possibilité d’octroi d’une troisième et dernière dérogation d’utilisation des néonicotinoïdes pour la filière betterave-sucre française. L’objectif de la France, depuis la loi de 2020, était de sortir définitivement des néonicotinoïdes en 2024. Fort de cet objectif, le gouvernement en lien avec l’INRAE, l’ANSES et les instituts techniques avait lancé un plan national de recherche et innovation (PNRI).

Prenant acte de la décision, le gouvernement n’accordera pas de nouvelle dérogation pour 2023.

Dans l’urgence, le ministre de l’Agriculture a présenté un plan d’actions. Il prévoit un accompagnement financier, dès 2023, pour soutenir les planteurs, mobilisable en cas de pertes de rendements liés à la jaunisse. Les éléments techniques ne sont pas encore connus.

La France devrait aussi s’assurer de l’homogénéité de l’application de la décision de la CJUE au sein de tous les pays de l’Union européenne afin d’éviter toute distorsion préjudiciable à la filière française. Par ailleurs, le ministre de l’Agriculture a  demandé, le 30 janvier dernier lors du Conseil européen, le déclenchement d’une clause de sauvegarde pour s’assurer que les produits importés ne puissent pas être traités avec des néonicotinoïdes.

Les nouveaux itinéraires techniques visant à protéger les betteraves plantées, élaborés en liaison avec les professionnels sur la base des avancées permises par le PNRI seront mis à disposition des planteurs via  l’institut technique de la betterave (ITB) et pourront être utilisés en cas de jaunisse dans les parcelles dès ce printemps. En parallèle, « toutes les solutions immédiatement disponibles issues des projets du PNRI, notamment les plantes compagnes, sont déployées et accélérées par la profession, sur le plus de surface possible, de manière incitative », indique le ministère de l’Agriculture. Un plan d’action et de surveillance sur la gestion des réservoirs viraux sera finalisé d’ici début mars. Enfin, les ressources complémentaires nécessaires au PNRI, notamment en moyens humains, sont en cours d’évaluation.

(1) Dans des circonstances particulières, un Etat membre peut autoriser, pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables.

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