
Attribution des baux ruraux par le tribunal en cas de liquidation judiciaire
Dans la présente affaire, une EARL avait été mise en redressement puis en liquidation judiciaire, avec poursuite d’activité, dans la perspective d’une cession de l’exploitation. La société exploitait des terres agricoles par le biais de plusieurs baux ruraux, consentis par différents propriétaires.
S’appuyant sur les dispositions de l’article L. 642-1 alinéa 3 du Code de commerce, selon lequel le tribunal peut attribuer le bail rural à un repreneur proposé par le bailleur, les bailleurs ont demandé au tribunal de changer l’attributaire des baux ruraux de l’EARL au profit d’un repreneur, qu’ils ont directement proposé.
Or, le tribunal a attribué la totalité des baux à un autre repreneur candidat, se fondant également sur l’article L. 642-1 alinéa 3, en vertu duquel le tribunal peut attribuer le bail à tout repreneur dont l’offre a été recueillie dans les conditions fixées aux articles L. 642-2, L. 642-4 et L. 642-5.
Suite à l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers qui a infirmé le jugement, le ministère public s’est pourvu en cassation.
Dans un premier temps, la Haute Juridiction rappelle sa jurisprudence antérieure, qui se fondant sur le caractère intuitu personae du bail rural, a considéré que les dispositions de l’alinéa 3 de l’article L. 642-1 donnait priorité au bailleur sur le tribunal pour choisir un repreneur des baux (Cass. com., 30 nov. 1993, n° 91-20.358 P). Cette solution valait également lorsque plusieurs baux étaient consentis par plusieurs propriétaires (Cass. com., 9 juin 1998, n° 96-11.717).
Dans un second temps, cependant, la Haute cour considère que cette interprétation a pour conséquence d’une part, de favoriser le démantèlement de l’exploitation agricole, a fortiori lorsqu’elle repose sur plusieurs droits au bail, et d’autre part, d’empêcher la cession à un repreneur dont l’offre aurait permis de sauvegarder l’exploitation.
Or, ces conséquences sont contraires aux objectifs de la cession de l’entreprise, énoncés à l’alinéa 1er de l’article L. 642-1, que sont le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et l’apurement du passif.
Qui plus est, une telle interprétation est également contraire à l’esprit du contrôle des structures qui permet aux bailleurs et éventuellement aux candidats repreneurs un contournement du dispositif.
Aussi, par l’arrêt commenté, la Cour opère un revirement de jurisprudence. Elle considère désormais que le tribunal dispose du pouvoir d’apprécier laquelle des candidatures, entre celle du repreneur proposé par les bailleurs, ou de celle du repreneur ayant déposé une offre dans les conditions des articles L. 642, L. 642-4 et L. 642-5, est la plus pertinente pour répondre aux objectifs posés par l’alinéa 1er de l’article L. 642-1.
Ainsi, la priorité de la proposition du bailleur pour un nouveau repreneur, anciennement consacrée, est écartée au profit d’une liberté d’appréciation du tribunal pour choisir le repreneur adéquat.