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Revue | Septembre 2021

Article 730 bis et notion de société à objet principalement agricole

CA Bordeaux, 2 juin 2021, n° 18/05225
En bref : Une SCI peut-elle être considérée comme une société à objet principalement agricole et bénéficier du droit fixe de 125 € instauré à l’article 730 bis du CGI ?

Les cessions de parts sociales à titre onéreux sont soumises à un droit d’enregistrement de 3 % (CGI, art. 726, I., 1° bis). Ce taux est porté à 5 % pour les parts de société à prépondérance immobilière, c’est-à-dire de sociétés dont l’actif est principalement constitué d’immeubles ou de droits immobiliers situés en France, ou de participations dans des personnes morales elles-mêmes à prépondérance immobilière (CGI, art. 726, I., 2°).

 

Par exception, et conformément à l’article 730 bis du CGI, les cessions de parts de sociétés civiles agricole sont soumises à un droit fixe de 125 euros. Il en est ainsi des parts de parts GAEC, d’EARL à l’IR et plus largement de toutes sociétés civiles à objet principalement agricole (constituées depuis au moins trois 3 ans depuis le 1er janvier 2020 s’agissant de cette dernière catégorie).

 

Mais que faut-il entendre par « société civiles à objet principalement agricole ».

 

Au préalable petit rappel historique.

 

L’article 730 bis avait été modifié en profondeur par la loi de finances pour 2001 permettant ainsi à la quasi-intégralité des titres de sociétés civiles agricoles de pouvoir bénéficier du droit fixe à l’époque de 500 F (loi n° 2000-1352 du 31 décembre 2000 ; art. 17).

 

Rappelons que la première instruction du 13 février 2001 (BOI 7D-2-01) commentant les modifications apportées par la LF pour 2001 précisait qu’au titre des sociétés civiles à objet principalement agricole figuraient les seuls GFA exploitants.

Les GFA bailleurs étaient donc initialement exclus du régime de faveur.

 

Ce n’est qu’avec la loi de finances rectificative pour 2008 (n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 ; art. 40) que sont intégrés les GFA bailleurs dans le CGI : « toutes sociétés civiles à objet principalement agricole, même non exploitantes, sont enregistrées au droit fixe de 125 €. »

 

Mais les motifs de l’amendement déposé au Sénat ne sont guère explicites : « Il est proposé d'étendre l'application de ce droit fixe à toutes ces sociétés, même lorsqu'elles ne sont pas exploitantes ». Lors de débats parlementaires (séance du 18/12/2008), le sénateur explique que l’amendement tend à une harmonisation des dispositions relatives aux cessions de parts de sociétés civiles à objet principalement agricole : il vise à étendre l’application du droit fixe à toutes ces sociétés, même lorsqu’elles ne sont pas exploitantes.

 

Cependant, dans le BOI 7 D-2-09 (instruction du 27 mai 2009), Bercy écrit que parmi les sociétés civiles à objet principalement agricole figurent les GFA même non exploitants puis il ajoute : « Il est précisé que les sociétés civiles immobilières (SCI) ne peuvent être considérées, au regard de l’article 730 bis précité, comme des sociétés à objet principalement agricole dès lors qu’elles ne relèvent pas des dispositions du code rural ».

 

Lors des derniers aménagements de l’article 730 bis par la LF pour 2020 (loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 ; art. 20) bien qu’ait été supprimée la mention « même non exploitantes », le BOI actuellement en vigueur demeure identique (BOI-ENR-DMTOM-40-50-20, n° 1). Ainsi, l’administration précise toujours qu’au titre des sociétés civiles à objet principalement agricole figurent notamment :

- les SCEA ;

- les GFA même non exploitants.

 

Et elle exclut toujours les SCI du dispositif sous prétexte qu’elles ne relèvent pas des dispositions du Code rural.

 

Mais pourquoi une SCI qui détiendrait des immeubles agricoles et qui louerait l’intégralité de ces biens en bail à ferme ne pourrait-elle pas, elle aussi, être qualifiée de société civile à objet principalement agricole ? En effet, il est des cas où la création du GFA s’avère impossible notamment parce qu’un des associés est une personne morale. Pourquoi alors pénaliser les associés de cette SCI ? Quelle est la différence intrinsèque entre un GFA bailleur et une SCI qui louerait des immeubles agricoles… mis à part que l’un figure dans le CRPM et l’autre pas ?

 

Et si justement, il n’y avait pas de différence à faire entre les deux.

 

En effet, contrairement à ce qu’une lecture trop rapide de l’arrêt susmentionné pourrait conduire, nous ne pensons pas que la CA de Bordeaux écarte totalement le droit fixe aux SCI.

 

En l’espèce, le 26 juin 2012, toutes les parts de la SCI sont cédées aux consorts A. Précédemment à cette cession, deux domaines agricoles avaient été apportés à la société. Le 24 juillet 2012, la SCI a consenti un bail rural portant sur ces domaines agricoles.

N’ayant pas bénéficié du taux de faveur de l’article 730 bis, les cessionnaires A ont introduit une réclamation contentieuse. Faute de réponse, ils saisissent le TGI qui les déboute.

Si les juges de second degré confirment la décision de première instance, les motifs de la décision n’en sont pas moins instructifs…

 

En effet, la Cour d’appel souligne que « le seul débat est ainsi de déterminer si [la SCI] avait ou non un objet principalement agricole ». Elle précise sur ce point que : « L'instruction du 27 mai 2009 qui exclut les SCI du régime du droit fixe n'est ainsi qu'une interprétation de l'administration. Elle demeure un argument que l'administration peut développer à l'appui de ses moyens sans s'imposer au juge puisqu'il s'agit précisément d'une interprétation ».

 

Il convient donc de déterminer, SCI ou pas, si la société peut être qualifiée de société à objet principalement agricole au moment de la cession des titres.

 

Au cas présent, les juges d’appel constatent que si les statuts de la SCI ont bien été modifiés le jour même de la cession, soit le 26 juin 2012, et que ceux-ci font bien référence à la mise en valeur exclusivement par des baux ruraux ainsi qu'à l’usage agricole des biens ; toutefois, ils ne l’ont été que postérieurement à l’acte de cession puisque dans les statuts mis à jour, les cessionnaires A apparaissent comme étant détenteurs du capital et donc des titres.

Pour la Cour, l’objet de la SCI était alors nécessairement « de nature strictement immobilière » au moment de la cession.

 

En conséquence, nous disent les juges et sans qu’il y ait lieu de se référer à la règle d’interprétation invoquée par l’administration excluant par principe les sociétés civiles immobilières, la société, bien que propriétaire de terres agricoles, ne pouvait pas être considérée comme ayant un objet principalement agricole.

 

Ce qui sous-entend donc que la solution aurait pu être différente …

 

Ainsi, une SCI détenant des immeubles agricoles, les louant par bail rural pourrait être qualifiée de sociétés à objet principalement agricole dès lors que son objet statutaire le prévoit.

 

Il conviendrait alors de s’assurer, en présence de biens non agricoles dans la société, que la valeur des biens agricoles soit prépondérante car demeure la question de l’appréciation du « principalement » agricole.

 

Il s’ensuit, selon nous, à la lecture de cette décision qu’un objet statutaire rédigé avec soin et correspondant bien entendu à la réalité, devrait permettre à une SCI de pouvoir revendiquer la qualité de société à objet principalement agricole et aux cessionnaires de bénéficier du droit fixe de 125 € au lieu du droit proportionnel de 5 % dès lors que ladite société possède et loue des immeubles à destination agricole.

 

CA Bordeaux, 2 juin 2021, n° 18/05225

 

FAITS ET PROCÉDURE

Le 26 juin 2012 les 49 512 parts constituant l'intégralité du capital social de la SCI Feyrere ont été cédées pour le prix total de 4 951 200 euros. M. Aa A et M. Ab A (les consorts A) se sont portés acquéreur indivis de la nue propriété de 8 252 parts sociales pour la somme de 495 120 euros.

L'acte de cession avait été précédé d'un acte faisant apport à la SCI Feyrere de deux domaines agricoles. Selon acte du 24 juillet 2012, la SCI Feyrere a consenti un bail rural portant sur ces domaines agricoles.

 

L'acte de cession des parts sociales a été enregistré au service de l'enregistrement du service des impôts des entreprises (SIE) de Bordeaux Mérignac. Les consorts A ont fait l'objet d'une imposition pour la somme de 25 201,66 euros au titre des droits d'enregistrement.

Le 19 décembre 2014, les consorts A ont introduit une réclamation contentieuse pour solliciter le dégrèvement de la somme de 25 184 euros.

 

En l'absence de réponse de l'administration, ils ont, par acte du 10 février 2017, fait assigner le directeur régional des finances publiques de la Nouvelle Aquitaine (DRFIP) devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins, à titre essentiel, de voir déclarer non fondée la décision de rejet implicite et de voir prononcer leur décharge de la somme de 25 184 euros.

Par jugement du 9 juillet 2018, le tribunal a débouté les consorts A de leurs demandes et les a condamnés aux dépens.

Les consorts A ont relevé appel de la décision le 26 septembre 2018, énonçant dans leur déclaration les chefs critiqués du jugement et intimant la DRFIP.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières écritures du 3 juillet 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, les consorts A demandent à la cour de :

1 ) Dire et juger que la société SCI Feyrere est une société civile à objet principalement agricole, même non exploitante, au sens et pour l'application de l'article 730 bis du code général des impôts ;

2 ) Dire et juger que c'est à tort que l'acte de cession de parts sociales de la société SCI Feyrere du 26 juin 2012 n'a pas fait application des dispositions de l'article 730 bis du code général des impôts ;

3 ) Dire et juger que M. Aa A et M. Ab A auraient dû acquitter la somme de 17,86 euros au lieu d'acquitter la somme de 25 201,66 euros au titre des droits enregistrement ;

4 ) Dire et juger que la décision implicite de rejet de l'administration fiscale n'est pas fondée

5 ) Annuler le jugement n 2018/00388 rendu le 9 juillet 2018 par le tribunal de grande instance de Bordeaux ;

6 ) Décharger M. Aa A et M. Ab A de la somme de 25 184 euros des droits d'enregistrement acquittés suivant acte de cession de parts sociales de la société SCI Feyrere du 26 juin 2012 ;

7 ) Condamner l'administration fiscale aux entiers dépens de l'instance ;

8 ) Condamner l'administration fiscale au versement de la somme de 4 000 euros aux requérants sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils font valoir que l'administration n'ayant pas répondu à leur réclamation contentieuse leur action était recevable. Sur le fond, ils soutiennent que si la société Fereyre n'exploite pas elle-même les parcelles de terre, son objet est bien principalement agricole au sens des dispositions de l'article 730 bis du code général des impôts. Ils ajoutent que la référence faite par l'administration à l'article 726 du même code est inopérante dès lors que ce sont les dispositions de l'article 727 qui ont été appliquées. Ils contestent que l'administration puisse lui opposer sa doctrine, l'article L 80 À du livre des procédures fiscales n'ayant pour objet que de protéger le contribuable d'un changement de doctrine administrative.

Dans ses dernières écritures en date du 31 janvier 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, l'administration fiscale demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré fondée la taxation ;

Confirmer le rejet tacite ;

Condamner les appelants aux entiers dépens ;

Rejeter la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du C.P.C.

Elle fait valoir que l'administration n'a pas fondé l'imposition sur la doctrine fiscale mais a décrit le dispositif à l'aide de cette doctrine qui n'a jamais été contredite. Elle conteste que les dispositions de l'article 730bis du code général des impôts puissent s'appliquer faisant valoir que la nature immobilière de la société est déterminante même si elle concède des baux ruraux.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 21 avril 2021.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il n'est pas contesté que l'absence de réponse de l'administration valait rejet implicite et que l'action des appelants était recevable.

Si le dispositif des écritures des appelants vise une annulation du jugement, il n'est développé aucun moyen de nullité et c'est bien l'infirmation du jugement qui est poursuivie.

Si les parties se sont opposées sur la référence à l'article 726 (régime général d'imposition) ou à l'article 727 (régime spécial d'imposition) du code général des impôts, il est constant que la cession a fait l'objet d'un enregistrement et d'une imposition par application des règles de l'article 727 de ce code, l'acte visant expressément un apport en nature des biens immobiliers depuis moins de trois ans.

 

Le débat est circonscrit à la question de savoir si la cession pouvait bénéficier des dispositions de l'article 730 bis du code général des impôts et donc, au lieu et place de l'imposition à 5 % assise sur la valeur des biens en nature représentés par les titres cédés, de l'application d'un droit fixe de 125 euros.

 

La référence à l'article L 80A du livre des procédures fiscales est également inopérante puisqu'il n'a jamais été soutenu que l'interprétation de l'administration avait changé ou évolué.

L'instruction du 27 mai 2009 qui exclut les SCI du régime du droit fixe n'est ainsi qu'une interprétation de l'administration. Elle demeure un argument que l'administration peut développer à l'appui de ses moyens sans s'imposer au juge puisqu'il s'agit précisément d'une interprétation.

C'est dans ces conditions qu'il convient d'apprécier si la cession pouvait ou non relever du droit fixe d'enregistrement.

 

L'article 730 bis du code général des impôts prévoit que les cessions de gré à gré de parts de groupements agricoles d'exploitation en commun, d'exploitations agricoles à responsabilité limitée mentionnées au 5° de l'article 8 et de toutes sociétés civiles à objet principalement agricole, même non exploitantes, sont enregistrées au droit fixe de 125 euros.

 

La nature civile de la société ne fait pas débat. De même, la circonstance qu'elle ne soit pas exploitante est indifférente aux termes mêmes du texte susvisé.

 

Le seul débat est ainsi de déterminer si elle avait ou non un objet principalement agricole. Or, l'acte de cession reprend l'objet de la SCI tel qu'il était mentionné à ses statuts au moment de la cession. Il s'agissait de l'objet classique d'une société civile immobilière visant l'acquisition, la location, la gestion et l'administration de tous immeubles ou droits immobiliers, ainsi que de toutes opérations mobilières, immobilières ou financières s'y rattachant directement ou indirectement. Il était encore visé la construction ou l'aménagement de tous bâtiments sur les parcelles lui appartenant, la souscription de tous emprunts nécessaires au financement de ses acquisitions ou de ses activités et la cession éventuelle de ceux de ses immeubles ou droits immobiliers devenus inutiles à son activité.

 

Un tel objet est bien de nature strictement immobilière et ne saurait renvoyer à un objet principalement agricole au sens des dispositions susvisées. Or, il s'agit de l'objet de la société au moment de la cession, le seul qui puisse importer. Pour faire valoir un objet principalement agricole, les appelants se prévalent en pièce 5 des statuts adoptés le 26 juin 2012 et qui font référence à la mise en valeur exclusivement par des baux ruraux ainsi qu'à l'usage agricole des biens. Cette pièce est cependant tout à fait inopérante. Ces statuts ont certes été adoptés le même jour que la cession mais ils l'ont été postérieurement à l'acte puisque ce sont les cessionnaires qui apparaissent comme détenteurs du capital social. Il n'y a donc pas lieu de déterminer si cette modification était de nature à emporter un objet principalement agricole de la société puisque seule peut s'appliquer l'objet tel qu'il existait au moment de la cession et tel qu'il est repris dans l'acte de cession.

 

En conséquence et sans qu'il y ait lieu de se référer à la règle d'interprétation invoquée par l'administration excluant par principe les SCI, la cour ne peut que constater que l'objet de la société était en l'espèce de nature strictement immobilière, de sorte que nonobstant la nature agricole des terrains dont elle était propriétaire, la société qui en était propriétaire ne pouvait être considérée comme ayant un objet principalement agricole.

 

La cession ne pouvait donc bénéficier des dispositions de l'article 730 bis du code général des impôts et du droit fixe de 125 euros.

 

Il n'y a donc pas lieu à décharge des appelants à concurrence de la différence entre la somme payée et la quote-part leur incombant du droit fixe de 125 euros.

Le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions.

L'appel étant mal fondé, il n'y a pas lieu à application au profit de l'appelante des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les appelants supporteront les dépens.

 

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 9 juillet 2018 en toutes ses dispositions