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Revue | Janvier 2023

Quand renoncer à encaisser les fermages est synonyme de donation

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En bref : Est-ce donner que de ne pas réclamer le paiement des fermages ?

Dans la présente affaire, deux époux communs en biens sont décédés respectivement les 26 mai 2005 et 9 mai 2011, laissant pour leur succéder leurs deux filles. La liquidation de la seconde succession, celle de l’épouse, a généré des difficultés entre les sœurs.

En effet, l’une d’elle bénéficiait d’un bail sur des terres agricoles appartenant à leur mère. Toutefois, aucun fermage n’a été payé à la mère entre le 1er janvier 1994 et le décès de cette dernière. Ce sont ces montants dont la sœur demande à ce qu’ils fassent l’objet d’un rapport à la succession.

La fille preneuse contestait un tel rapport. Cette dernière alléguait qu’en vertu d’un accord conclu avec sa mère, elle avait réglé en lieu et place des fermages durant ces 17 années, l’intégralité des charges foncières afférentes à l’ensemble des biens de ses parents et non seulement celles inhérentes aux biens dont elle avait la jouissance.

La Cour d’appel a accueilli favorablement l’argumentaire de la sœur lésée. En effet, si la cour d’appel constate l’effectivité des paiements des charges foncières par la fille, elle relève que l’héritière n’apportait pas la preuve d’un accord tacite intervenu entre elle et sa mère, bailleuse. Faute d’un tel accord, les juges du fond ont considéré que les sommes abandonnées par la mère constituaient bien des libéralités dont les montants devaient être réintégrés dans l’actif de la succession.

La sœur se pourvoit en cassation arguant du fait que seule une dette qui existe peut faire l’objet d’une libéralité. La demanderesse considère que les fermages échus entre 1994 et 2005 étaient prescrits et que la cour d’appel ne pouvait donc en exiger le rapport.

La Cour de cassation rejette l’argument et énonce clairement : « Ayant retenu souverainement que la renonciation de [la mère] à recouvrer les fermages échus entre 1994 et 2005 l’avait été dans une intention libérale, la cour d’appel, qui s’est ainsi justement fondée sur le rapport des libéralités et non pas sur le rapport des dettes et qui a considéré que la remise de ces fermages était intervenue à une époque où ceux-ci n’étaient pas prescrits, en a exactement déduit l’existence d’une libéralité rapportable par [la fille] à la succession ».

Les juges ont donc considéré que les deux critères démontrant l’existence de la libéralité étaient présents : l’intention libérale et l’enrichissement du gratifié corrélé à l’appauvrissement du disposant. Ainsi, renoncer aux fermages, c’est donner. Et donner, c’est obliger l’héritier à rapporter.